Marie Saudin, bonjour. Vous êtes « Coordinatrice insertion – Accompagnement et projets » chez MODE ESTIME, un atelier « d’insertion par la couture » en Seine-Saint-Denis, en région parisienne. Sa mission est de redonner de l’estime, par la mode, à des personnes vulnérables.
Chez JULES & JENN, nous connaissons très bien votre atelier vu que nous collaborons avec vous depuis 2019, mais comment expliqueriez-vous le projet à quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de vous ?
Je dirais que Mode Estime, c’est une association qui utilise l’activité de la confection textile comme prétexte à l’insertion sociale et professionnelle de personnes en difficulté. Particulièrement des personnes éloignées de l’emploi et/ou en situation de handicap.
Qui peut intégrer l’atelier Mode Estime ?
Ce sont des personnes qui sont orientées par des associations, des travailleurs sociaux et des conseillers à l’emploi. Elles n’ont généralement pas travaillé depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, ou n’ont même jamais eu d’expérience en France et surtout, elles ont besoin d’un accompagnement, d’un encadrement pour acquérir des compétences professionnelles. Cela peut passer par un accès à la formation avant un accès à l’emploi car nous sommes sur un accompagnement de personnes sans ou avec peu de qualifications ou diplômes. Actuellement, 15 salariés (de presque 10 nationalités différentes) sont employés à l’île Saint Denis.
Crédit photo © Mode Estime
Que confectionnent les salariés de l’atelier ?
C’est assez varié mais ce sont surtout des objets textiles, du linge de maison : des coussins, des plaids, etc. On fait aussi des vêtements, mais des pièces assez spécifiques, donc qui demandent des techniques un peu plus poussées. Dans ces cas-là, toutes les personnes de l’atelier ne peuvent pas les confectionner vu que nous acceptons tous les niveaux, même débutants. L’intérêt est de faire avancer tout le monde, selon le niveau de chacun à son arrivée.
Nous faisons aussi dans l’upcycling : beaucoup de petits créateurs font appel à nous, lorsqu’ils souhaitent transformer des matières utilisées ou des chutes pour créer un nouvel usage, un nouveau vêtement. On a travaillé à partir de bâches publicitaires pour faire des poufs recyclés (pour notre client La Tête Dans Les Nuages), des t-shirts confectionnés à partir d’anciens t-shirts, des bloomers, etc. Et puis plus récemment pour des projets de plus grande envergure comme par exemple la FFF (Fédération Française de Football) pour le recyclage de tous leurs maillots 1 étoile en blouses d’hôpital, ou de leurs bâches promotionnelles en trousses pour les élèves de leurs clubs de foot. Même des marques de luxe font appel à nous, notamment depuis la loi contre le gaspillage de 2020.
De quoi êtes-vous la plus fière depuis votre arrivée dans l’association ?
J’ai toujours travaillé auprès de personnes en difficulté sociale, mais c’est vrai que sur ce projet, ma plus grande fierté est cette reprise de confiance par l’insertion professionnelle. Ce sont des personnes qui ont été marquées dans leur parcours, qui ne répondent pas forcément aux exigences du marché en termes de diplômes, d’expérience ou d’intégration et l’activité de la couture donne un résultat presque immédiat, les personnes sont très vite fières d’elles !
Donc ma fierté, c’est finalement de voir les gens à nouveau en confiance ! C’est vrai que nous organisons des activités qui les mettent en valeur : nous leur apprenons des techniques et nous organisons des ateliers où ils montrent tout cela au grand public et à des débutants qui veulent apprendre la couture. Et là, on sent vraiment cette fierté d’être en capacité, cette volonté de transmettre, cette assurance, et c’est tellement beau à voir.
Crédit photo © Mode Estime
Chez JULES & JENN, au lieu de faire des soldes, nous mettons en place des « Ventes et Fins de Série Solidaires » : c’est-à-dire que nous avons créé une catégorie « Dernières Pièces » sur notre e-shop avec les modèles qui ne seront pas renouvelés. Plutôt que de les brader, les vendons à un prix plus accessible, et 100% des bénéfices sont reversés à votre association. Pouvez-vous expliquer à nos clients comment utilisez-vous ou réinvestissez-vous ces dons ?
Un atelier comme le nôtre reçoit certes des aides d’une part, mais a quand même une activité, un chiffre d’affaires à assurer. Cela passe par du temps de production mais aussi, pour réaliser toutes les actions dont je vous ai parlé, du temps non productif, qui n’est pas financé. Donc, c’est sur ce temps-là que JULES & JENN nous soutient complètement : cela nous permet d’envisager d’autres actions qui confortent nos valeurs et nos projets d’accompagnement, toujours destinés à nos salariés. Cela recouvre les temps de formation technique mais aussi de formation plus ciblée, comme la linguistique (tous ne maîtrisent pas parfaitement le français) ou la mise en valeur de ses propres compétences, puis le développement produit de notre propre marque d’upcycling Mode Estime.
Et quels sont les projets de votre association pour 2022 ?
Justement, afin de développer le volet upcycling et pour répondre à la demande des créateurs qui font appel à nous, nous avons pour projet d’ouvrir un autre atelier à Épinay. Nous rejoindrons dès le mois de février un lieu atypique (la gare RER d’Épinay rénovée) partagé avec des éco-artisans et éco-designers qui vont beaucoup travailler sur la question du réemploi. L’idée est de proposer un bureau d´étude de 6 personnes et une nouvelle offre de service : patronage/prototypage sur de la petite et moyenne série. L’objectif est de vraiment travailler en profondeur tous ces projets de revalorisation des matières pour toutes ces entreprises et collectivités qui s’intéressent à la question du non-gaspillage textile.
Crédit photo © Mode Estime
2022, c’est aussi pour nous le moment de se rapprocher d’ateliers qui souhaitent former des gens sur des techniques précises comme la coupe. Nous nous pencherons donc sur la question de la formation dans le textile, devant la demande grandissante de main d’œuvre spécialisée suite à la relocalisation et le renouveau du « fait en France ».
Enfin, en parallèle, notre directrice travaille également sur la question du handicap et de la mode adaptée. Elle essaie de trouver des solutions pour permettre de donner l’accès à cette mode et de la proposer à des publics qui n’y ont pas accès aujourd’hui. Ce projet reste essentiel depuis la naissance de Mode Estime et nous espérons pouvoir le développer dans les années à venir.
Merci Marie pour votre combat et pour cette volonté de faire rimer mode, estime de soi et solidarité !